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journal intime - Page 8

  • " Le jour, la nuit et les autres nuits."

    zzzzzzzzzzzzzzzzz-art-00000.jpgMon père s’est remarié l’année de mes seize ans, non sans avoir au préalable, en parfait homme du monde, sollicité mon consentement .

     


    Consentement que je mis, du reste, beau temps à lui accorder tant l’irruption d’une tierce personne dans le couple fusionnel que nous formions depuis le départ de ma mère me semblait halogène, barbare, contre nature.
     

    Nous parlâmes beaucoup, nous parlâmes longtemps, mon père arguant que puisqu’à présent j’avais un semblant de vie amoureuse, je pouvais admettre qu’il en ait une à son tour : que l’amour qu’il portait à cette personne blonde et glacéé n’enlevait rien à celui qu’il me vouait, bref soulevant tout un tas d’arguments, forcément sensés, que j’écoutais d’une oreille distraite tout en évaluant mentalement à quel prix je pourrais raisonnablement négocier l’abandon de mon droit de véto.


    Au terme de transactions que le plus pingre des usuriers eut trouvées mesquines, nous convînmes que je ferais bonne figure à ma future belle mère aux conditions expresses que l’on me laissât libre de sortir la nuit; quand bon me semblerait, doté, de surcroit, des subsides nécessaires à un train de vie qui me paraissait me revenir de droit divin.


    Mon père est un homme délicieux, un érudit, un artiste, un rêveur et vous l’aurez compris un grand naïf.

     A dix ans je quintuplais le montant de mon argent de poche en le battant régulièrement au poker; c’est vous dire à quel point il se complaisait dans un idéal étranger à toute réalité tangible.

    Dans le clair obscur de sa fantaisie, le monde de la nuit, auquel il me donnait plein accès, avait le velouté, la douceur, l’onctuosité d’un chocolat chaud.


    Je sais à présent, la trentaine et peut être la sagesse venues (j’entends ici les hyènes ricaner !), que naïf il ne l’était pas tant que cela. Simplement, il m’aimait suffisamment pour m'autoriser à commettre mes propres erreurs ; tout en sachant, quoi qu'il puisse arriver, qu'il serait toujours là pour me rattraper au bord des précipices.

     


    Tout cela pour vous expliquer que j’ai pris l’habitude de sortir très jeune et que, bien entendu, j’ai accumulées les conneries avec la parfaite régularité d’un métronome.
     

    Stupide, j’aimais à me prendre pour une sorte d acteur de vaudeville dont l’emploi eut été le gandin.
    Lucide néanmoins, je savais que je n'étais, en somme, qu’un rutilant piège à cons.
     

    J'étais beau, je pense. En tous cas on me courtisait.

    Mais courtisé, ne l'est on pas toujours lorsqu'on a seize ans et qu'on manque de sérieux ?
    Chaque soir, à l’heure ou la ville mourait, a l'heure où la lune flambait, à l’heure où les folles se fardaient, j’abandonnais ma défroque ordinaire pour revêtir l'habit de lumière, le costume du matador.

     
    Les nuits Parisiennes étaient mon théâtre.


    Ce théâtre, je l’investissais à la hussarde.
    Je jouais large, je jouais ample, je jouais l'aisance et l audace; chaleureux, perceptif et sexy comme une pub pour des cigarettes Américaines.

    « Try a différent flavour »


    Le contraire en somme de ce que j’étais dans la vraie vie ou l’on me regardait comme une épure, un effrayant monolithe.

    J’ignorais d’ ou cela venait ni ou cela m'entrainerait, mais la plupart des gens m'estimaient incapable d'éprouver des émotions autrement qu’en une dérive immobile ; sans qu’elles ne m’affectent réellement. Sous mes néons de couleurs, en revanche, je déplaçais du vent, je semais des paillettes, je faisais du bruit et illusion, capturant mes victimes à mon grand rire avide, au feu de mes yeux lasers, qui les fusillaient à blanc, qui les fusillaient en bleu horizon.

     


    Mon infernale exigence me commandant d'aller toujours plus loin dans la surenchère, je forçais le trait jusqu’à m’extraire de moi même.

    Je me voyais alors comme si j'étais doté d un troisième œil ; plutôt je le voyais lui, « Mauvaise. Graine », qui existait de manière autonome tel un exorcisme ou une libération.

    Toute mon énergie nourrissait ce monstre, bouleversant d’ubiquité, et il m'arrivait parfois de me sentir bon pour la camisole. Mais, si les contraintes, ce bain de regards faussés, forcément faussés, dans lequel je m'ébattais soir après soir, étaient pénibles, le jeu en lui même me grisait avec la puissance d un alcool fort.

    J’éprouvais l'ivresse d'être exactement dans le rythme de la fête ; de faire corps avec elle, d’investir miraculeusement l’œil du cyclone, le cœur du maelstrom.


    Je décrochais alors, je décollais, je voyageais long distance au sein d une dimension physique, organique, intime.

     


    Et puis lorsque la sono se taisait, lorsqu’une à une les lampes se rallumaient, j'atterrissais toujours un peu en catastrophe, la tête tournée par mes sauts d'archange émerveillé.


    On est forcement déçu lorsqu’on est exigeant. On veut donner beaucoup pour recevoir beaucoup mais on ne trouve jamais dans cet échange que ce qu’on y a mis et parfois moins, comme s’il y avait eut évaporation.

     


    Très vite, je compris que le monde de la nuit n’était qu’une échappatoire. Je me promis de ne pas y faire de vieux os. Je passerai une saison en enfer, voire deux par gourmandise, mais la gourmandise tourna à la gloutonnerie et les mâchoires du piège se refermèrent sur moi. J’aimais bien mon personnage de « Mauvaise. Graine » et les nuits vieillissaient.


    Aujourd’hui encore il m’est plus facile de me définir comme « Mauvaise. Graine » que comme V.V.S.M.

    Momifié au sein d un milieu qui, pourtant, n’est pas le mien, je n existe plus que par référence.

    Le commerce du symbole marche encore très bien, sans doute l’avez vous remarqué. Il suffit de coiffer une couronne, de se fabriquer un masque plaisant, pour paraitre et tant pis si on oublie de projeter son être dans ce paraitre. On vie alors prisonnier d’une image fortement enluminée mais totalement désincarnée comme les vedettes du cinéma ou les demoiselles du rocher. On ne se reconnait plus.


    Alors on tente une nouvelle sortie d autoroute et évidement on loupe l’échangeur.

     

  • " Depression au dessus du jardin."

    zzzzzzzzzzzzzzzv-j-0215.jpgJ’ai changé, ne me déplaise !
    Enormément ! En peu de temps !
    Est à cause du passage périlleux à la trentaine ?

    Est-ce à cause de Christophe ? De notre relation désastreuse semblant ne vouloir ricocher que dans des directions défavorables ?

    Naguère , mon énergie , ma vitalité , mon intenable impudence , cette manière éhontée de ne pas tenir en place sans jamais chercher la mienne ,de semer des tempêtes pour un tout , pour un rien , pour un tout petit rien ; de vivre mes amours comme on force un blocus , de les immoler ces amours sur des buchers aux allures de gaillards feux de plages , ce sacré chambard accompagnant la désinvolture de mes envols vers d’autres bras , d’autres draps ,d’autres impostures ; faisaient de mon existence un déluge , un océan en furie.
    Déluge, j’en ai brisé des digues, j’en ai inondé des plaines, j’en ai submergé des montagnes, dévalé des précipices.

    Océan, j’en ais fait des vagues, toutes identiques, toutes différentes!
    Berceuses de barcasses, chavireuses de chalutiers, briseuses de cargos.
    Vous n'en avez pas passé une, que déjà, la suivante se pointe en rafale.
    Elle vous prend en traitre , elle vous soulève , elle vous élève vers ce que croyez être le soleil , elle vous attire puis vous repousse , elle vous enveloppe , elle vous borde , elle vous déborde , elle vous roule , elle vous boule , elle vous envoie valdinguer dans les abysses .

    Vous avez de l'eau dans les yeux et les oreilles, du sel vert et acide dans les narines, un bouquet d'algues pourries dans la bouche ; si vous ne vous noyez pas, Dieu est avec vous.

    Ou le diable, allez savoir !

    La vie ça s'appelle la maladie que j’ai attrapée en naissant.
    La vie magistrale. La vie plus grande que la vie !
    « Biger than life » en français tel qu'on le cause.
    La vie broyeuse d'autres vies. La vie exigeante, impitoyable, immense et animale.
    La vie torrentielle !

    Mais voici que les temps changent. L’océan est une flaque, le déluge une bruine, « Mauvaise. Graine » une épave.

    La vie , ma vie , cette vie , je la régurgite en un lent , long ,lancinant écoulement , une sanie noire et malsaine , qui me laisse faible, appauvri, vagissant comme au creux d'un berceau .

    Pourquoi on se lève, pourquoi on se couche, pourquoi on bosse, pourquoi on baise, pourquoi on baise plus ?

    Pourquoi fais-je semblant d’écrire ?

    Pourquoi ses longs yeux d’ambre liquide ce sont ils changés en deux petits lacs gelés, ternes, occultes ?

    Je fus , pour l'unique fois de ma vie , un petit ami parfait , un ami parfait , un amant parfait . J'ai enchanté ses nuits, ses jours et ses rêves. Je lui ai offert des voyages autour de mon lit, des bouquets de rire, de perles, de mots. Je l’ai consolé, je l’ai cajolé. Je l’ai rendu plus beau que beau. Je l’ai baisé à m'en peler la bite.

    Je fus le roi, le fou, l’illusionniste, l'esclave accroupi.

    Je suis une cloche !

    Ce soir, nous sommes passés à un poil de cul de la catastrophe, à un frisotis du dernier Bing Bang.

    Je le voyais venir et je serrais les poings.

    Cette douceur dans la voix, cette fièvre soudaine hachant son débit, ces hésitations, ces phrases qui finissaient en soupirs, cet abandon que je ne lui connaissais pas.

    Les mots qu'il n'osait prononcer déchiraient l'opacité de son silence.

    J'ai prié : pas maintenant, pas déjà, pas comme ça !
    Il a compris, je crois.

    Il a dit : « -Bon, je me couche, moi ! Dors bien fais de doux rêve !
    « _ Ok, bonne nuit.
    « _ Tu sais, je ....
    « _ Tais toi !

    J’ai quitté la chambre.

    Deux heures du mat et des minutes.
    Fin de partie au Sans-soucis !
    Au rez -de- chaussée j’ai récupéré une bouteille de Vodka, beaucoup de glace !

    A présent, gelé comme un coing, presque délivré de la conscience de mon corps, l'esprit en déroute, le cœur calebasse battant sous des paumes africaines, j’attends de sombrer dans ce « sommeil ivre » dont parle Rimbaud.

    En pure perte !

    A cette heure de la nuit et dans l'état ou je me trouve, j’oublie d’ordinaire la cause de mes tourments.
    Je me sens même, la plupart du temps, assez d'humeur à me lancer dans des digressions illuminées sur la vie, l’amour, la coiffure, le vin.

    Le point de non retour atteint, déjà en terre lointaine, les mots me viennent comme des chocs, pitreries, agressions, jetés battus, « je-t-ai-battu », hideuses têtes d'Iokanaan au poing sanglant de Salomé.

    La logique ainsi qu’un petit pantin désarticulé, funambule sur un fil ténu, tendu entre deux paradoxes. Les idées fusent, fusionnent, s'estompent aussitôt.

    Délire, verbiage, clairvoyance.

    Références aux princes de la cuite: Baudelaire, Apollinaire, Audiard, le grand serge!

    "Dépression au dessus d'un jardin
    Ton expression est au chagrin
    Tu as lâché ma main
    Comme si de rien n'était.
    De l'été c'est la fin
    Les fleurs ont perdu leurs parfums
    Qu'emporte un à un
    Le temps assassin."

    Gonflé d’importance, pédagogue sentencieux, je cherche à me convaincre, à coups d’aphorismes d'argile, que l'alcoolisme pas plus que l'amour n'a besoin de raisons. Que l'on cherche toujours des excuses plus que des explications. Que j’aime boire moins par goût de l'alcool que pour l'ivresse qu'il procure.

    Que je bois pour oublier.

    Oublier qui ? Oublier quoi ?

    Oublie-moi toujours, jamais je ne t’oublierais.

    Le crabe dans les vapes affute ses ciseaux. L'alcool sur la plaie fait comme du sel, il brule sans cautériser. Il n'a ni beauté ni bonté.

    Pouvoir thérapeutique ?

    A dose homéopathique, sans doute.

    Quatre verres de vin te feront le cœur sain, le sang fluide, les artères souples.

    Quatre verres de vins ? Cuite mesquine !

    Moi, je bois tel un soudard, pour la destruction et la gloire.
    Gloire des armes, gloire des larmes, gloire mensongère des tréteaux, gloire des fontaines et des Bacchantes, gloire chavirante des bateaux.

    Boire pour s’oublier, se transmuter, se transformer.

    En quoi ? En objet de risée, en dindons de farces bouffonnes ?

    C'est une maladie que l’alcoolisme, une maladie honteuse.

    Les cancéreux apitoient, les alcooliques prêtent à rire. Ils quêtent de l'amour et ne récoltent que des lazzis.

    Ce soir je pourrais tuer pour une déclaration d’amour !

    Une qui aurait de la gueule, de l’allure, du panache !

    Comprenez moi, je suis comme Sophie Marceau dans " La boum 13 : Romance à l'hospice ", je n'ai rien contre le fait qu'on me dise " je t'aime "; mais pitié Messieurs, un peu de classe, un peu d’audace, un peu d'originalité !
    Soignez le décor, soignez la présentation ; mettez un costard et genou à terre. Sortez les fleurs et les confettis, les revolvers et les couteau. CInvoquez les violons de Baudelaire, les orages furibards des sœurs Brontë, le technicolor flamboyant des mélos de la «  MGM  ».

    Ne le dites pas au téléphone.

    Encore moins par SMS.

    Surtout pas sur MSN.

    Par signaux de fumée, à la limite vous le pouvez.

    A condition de vous appeler Sitting Bull, bien sur.

    Ah, vous vous appelez Christophe ?
    Glad to met You. My Name Is Graine, Mauvaise. Graine !

    Vous êtes un petit breton, fils de la pluie et des marées. Dans ce cas, donnez-vous un petit peu de mal.

    Faites rugir l’Atlantique, faites gueuler les goélands, chapardez les mots de Chateaubriand et faites m'en offrande.

    " Mon dernier rêve sera pour vous "

    Vous devez vous dire, elle est mignonne la « Mauvaise. Graine » ; mais c'est un truc de midinette que d'accorder tant d'importance à deux notes et demi de musique que certains vous chantent aussi souvent que " Bonjour comment ça va ? " dans une journée ; que de toute façon, il n'y a pas d'amour mais des preuves d'amour et patati et patalaire, l’infini à portée des caniches.

    Peut être avez vous raison.

    Moi, je suis persuadé qu’un " Je t'aime " n'est jamais innocent.
    C'est une balle de revolver qu'un " Je t’aime ».

    Ou il vous effleure sans vous blesser, ou il vous explose le cœur.

    Tant qu'a faire, s'il doit me tuer que se soit en apothéose.

    Je veux des fanfares et des vivats, des serpentins et des ballons, un ciel tonnant de 14 Juillet.

    Et tant pis si au fond, moi, je ne l’aime plus.

  • " Dernier été à Tanger"

    zzzzzzzz-art.jpgChris encore, Chris toujours !
    Si vous en avez assez de mes Chris par ci, Chris par là, vous pouvez bien me le dire, les commentaires servent à ça. Mais si je ne vous parle pas de Chris je vous parlerais d’autres garçons fondus dans le même creuset, alors autant vous entretenir de celui du moment.


    « Le garçon du moment » : Dieu que cette expression semble cynique.
    « Le garçon du moment » comme le dernier gadget de « Pif » ou le parfum du mois.


    La tendance actuelle, celle dont on sait bien qu’elle passera plus vite que le café, qu’elle sera remplacée par une autre, pas forcément plus agréable, pas forcément différente même, mais subtilement autre, suffisamment inhabituelle en tous cas pour qu’on lui trouve la fraicheur verte et moussue des sources vierges.
    Mes amants avaient tous les yeux obliques des poisson-chat, parfois le même prénom, du gout pour une certaine barbarie à face d’archange, des rébellions de poulains débâtés ; seul changeait le regard que chacun d’eux portait sur moi et qui me faisait me sentir dissonant, discordant, mais neuf et comme rajeuni.

    Du reste, je ne songe jamais lorsque je rencontre un homme : « Celui là sera mon dernier amour, mon dernier rêve sera pour lui ».

    Je trouve un peu sinistre de s’entendre dire « Je veux vieillir avec toi » même si l’idée de vieillir ensemble, à deux, cote à cote me parait belle en soi. A la limite je préfère la brutale franchise d’un « Nous ne vieillirons pas ensemble ! ».

    J’ai besoin de garder l’impression que ce qui existe aujourd’hui n’existera peut être plus demain. Cela me permet de rester ouvert, d’échapper à la pause, aux grandes attitudes mélodramatiques.

    En revanche il m’est arrivé d’aimer à nouveau un homme que j’avais aimé par le passé. J’ai besoin de penser qu’il reste toujours quelque chose d’un amour, en latence, en attente : une empreinte, une blessure, une braise.


    J’ai du désir pour Chris, parce qu'il est jeune, beau et intelligent. Cependant, très vite, je me suis rendu compte que cela ne me suffisait pas.

    En fait Chris ressemble au garçon opaque et lumineux que j’étais à son âge. Dire que je me retrouve à travers lui me semble toutefois un peu exagéré.

    C’Est d’avantage un parfum que je retrouve au travers de ses immenses ambitions, son appétit de conquêtes, sa détermination à avancer quoi qu’il lui en coute ; le parfum doux amer de mes rêves avortés.

    Jamais je ne lui avouerais qu’il ne peut me faire souffrir. Un homme qui ne peut pas vous faire souffrir, c'est un homme qu'on peut aimer mais avec une certaine limite, qui n'a pas d'emprise sentimentale sur vous.

    Alors, est ce là la pierre de touche d’un amour ?

     



    D’un autre coté la souffrance lorsqu’elle vous vient d’un homme aimé est une souffrance très particulière.


    « Souffrir par toi n'est pas souffrir" chantait Julien, voilà longtemps.


    Pour mesurer le degré de mon sentiment envers Chris , je suis bien obligé de reconnaître que je ne peux souffrir par lui, donc, par extension , que mon amour est limité.


    Nous nous sommes rencontrés en Sardaigne.
    Chris guidait un groupe de touristes Grands Bretons à la découverte du bassin Méditerranéen ; je profitais de quelques jours de vacances dans la jolie maison blanche et bleue du dernier mari de ma mère.


    Il n’y eut ni feu d’artifice, ni lâché de ballons, pas même un frisson d’aile dans un ciel dévoré de soleil. Juste une évidence, une simple et banale évidence.
    L’évidence que nous nous complétions parfaitement, que « nous allions bien ensembles » ; l’évidence que nous irions encore mieux ensembles une fois nus.


    Nous avons ri, nous avons bu, nous avons dansé, nous avons fait l’amour à nous en écorcher la peau puis Chris est parti pour Syracuse.


    On s’est dit ciao, c’était sympa et on s’appelle, promis !


    Personne n’y croyait réellement tant les amours de vacances ressemblent à des parenthèses enchantées que l’on referme en même temps que nos valises.


    Puis contre toute attente Chris a appelé.


    Je négociais un contrat à Tanger, lui par un de ces hasards bêtes de la vie se trouvait à Rome.


    Il a dit :

    « -Ce n’est pas grave, je termine mon tour demain et rien ne m’oblige à rentrer de suite à Paris. Attend moi.


    J’ai dit : « Je t’attends. »

    On m’avait conseillé, dans Tanger, de passer par le très pittoresque Café Marhaba al Hafa.

    De sa terrasse en degrés, creusée à flanc de falaise, ou les chats paressaient parmi les fleurs sauvages, on apercevait la côte Espagnole.

    Naguère, le "Hafa", dont la particularité est de ne pas servir de Café mais uniquement du thé Marocain, accueillait aussi bien les Beatles ou les Rolling stones que Paul Bowles et Jack Kerouac.

    Aujourd’hui si l’on peut toujours se régaler d’un délicieux thé à la menthe sur ses tables dépareillées, on y vient surtout pour s’y procurer le meilleur cannabis de toute la côte.


    Chris et moi avons fait emplettes de quelques boulettes puis nous sommes remontés fumer tranquillement au bord du précipice.


    Chris a dit qu’il n’y avait rien devant nous, sinon le vide et la falaise.
    J’ai répliqué qu’au contraire, il y avait la mer, plus loin l’Espagne et encore plus loin l’Europe toute entière.


    Chris a secoué la tête tout en tirant sur son joint.


    « -Tu te trompes, il n’y a que le vide et l’attrait du vide. L’envie de se pencher jusqu'à ce que l’idée de tomber fasse mal.


    J’ai passé un bras affectueux autour de son cou, attiré sa tête blonde vers mon épaule.


    « -Et toi, qu’est ce qui te rattrapes dans ces moments là ? Ais je demandé d’une voix légèrement embrumée par le shit.


    Chris s’est dégagé un peu brusquement de mon étreinte protectrice.


    « -La même chose que toi V. Le fait de vouloir à nouveau ce vertige. » A-t-il répondu en me regardant bien en face.


    J’ai su alors, qu’en dépit de son jeune âge et de son inexpérience, celui là me devinais mieux qu’aucun de ses prédécesseurs n’avaient su le faire.


    Ce soir là, au bord de la falaise Hafa, moi qui n’ai connu d’autre vertige que celui des hommes et de la nuit, je me suis vu tomber comme en un tourbillon dans les yeux dorés du garçon qu’aujourd’hui encore je redoute d’aimer si peu, d'aimer si mal.

    JULIEN CLERC: " Souffrir par toi n'est pas souffrir"
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